Réforme des retraites : le coup de l'été

06/07/2011 - LEMONDE

Qu'est-ce qui obligeait Xavier Bertrand, le ministre du travail, à se précipiter pour annoncer, le 5 juillet, qu'il signerait, en décembre, un décret portant à 166 trimestres (41,5 ans) la durée de cotisations pour les générations nées en 1955 ? Rien, si ce n'est la volonté de donner des gages de sérieux et de responsabilité à Bruxelles et aux agences de notation.

Quatre jours après l'entrée en application d'une réforme qui va porter, au rythme de 4 mois de plus par an, l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans en 2018, le gouvernement prend le risque de contredire l'esprit du texte présenté il y a un an. Il avait alors lui-même expliqué son choix de ne pas remettre en cause la règle fixée par la loi de 2003 qui prévoyait, en raison de l'augmentation de l'espérance de vie, une durée de cotisations de 41 ans en 2012 et de 41,5 ans en... 2020.

Eric Woerth, alors ministre chargé de la réforme, déclarait : "Dans les dix ans qui viennent, une large majorité de Français auront une durée de cotisation supérieure à 41 ans. Accroître encore la durée de cotisation requise n'aurait donc pas incité suffisamment de salariés à poursuivre leur activité." Pour les salariés arrivés tardivement sur le marché du travail ou ayant eu du mal à s'y insérer, "l'effort ne serait pas équitable". C'est donc un revirement.

Cette volte-face est d'autant plus surprenante que la perspective d'une augmentation progressive de la durée de cotisation, due au fait que, selon le Conseil d'orientation des retraites, l'espérance de vie après 60 ans était, fin 2010, de 22,4 ans pour les hommes et de 27,2 ans pour les femmes, faisait l'objet d'un consensus. Le Parti socialiste, après avoir longtemps envisagé l'abrogation de la loi de 2003, s'y était finalement rallié.

L'annonce de M. Bertrand ressemble à ces mauvais coups de l'été et rappelle que la première réforme des retraites, celle d'Edouard Balladur, qui avait fait passer la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein de 37,5 à 40 ans, était intervenue un 22 juillet 1993. Elle sonne aussi comme un aveu que la réforme de 2010 n'était pas financièrement efficace.

Cette décision, assimilée par le PS et les syndicats à une "double peine", pose un double problème. Sur le fond, elle ne tient pas compte des inégalités d'espérance de vie entre les salariés. Les ouvriers, comme l'a montré une étude de l'Ined, ont, en moyenne, une espérance de vie inférieure de sept ans à celle des cadres. S'y ajoute pour une partie d'entre eux une pénibilité qui génère des handicaps.

Sur la forme, cette décision unilatérale montre, une fois encore, le peu de cas que porte le gouvernement au dialogue social. Le principal défaut de la réforme de 2010, qui avait donné lieu à une contestation très majoritairement soutenue par l'opinion publique, est qu'elle n'avait pas fait l'objet d'une véritable concertation avec les syndicats. Cette fois, le gouvernement a récidivé et n'a même pas pris la peine de consulter les syndicats. A l'heure où l'UMP tient une convention autour du thème de la "refondation sociale", il s'agit d'un bien mauvais signal.

LEMONDE- Article paru dans l'édition du 07.07.11